“Médecine Générale” : un conte liturgique et démoniaque d’Olivier Cadiot
© Mariano Barrientos
Aux Abesses-Théâtre de la Ville, Ludovic Lagarde adapte et met en scène “Médecine Générale”, un roman vertigineux d’Olivier Cadiot. Dans une grande maison abandonnée, trois personnages en quête de vie décident de cohabiter pour mieux se réinventer, dans un monde qui reste impossible à vivre. La trinité sacrée n’est pas très loin, et la langue poétique d’Olivier Cadiot tresse de flamboyantes volutes à ces trois solitudes savamment névrosées, tentant une désespérante et écrasante utopie.
Mort d’un demi-frère

© Mariano Barrientos
C’est par l’enterrement de son demi-frère que Closure, écrivain et narrateur de l’histoire, débute son récit. Les larmes ? Il n’en sera pas question, mais plutôt d’un rire noir, acide, métaphysique, gorgé d’un humour ironique, qui doit faire écho à l’absurdité de la vie. Laurent Poitrenaux incarne splendidement ce personnage autoritaire, tyrannique, mi Dieu, mi Diable, qui va organiser sa vie, après cette mort, ainsi que celle des deux autres compagnons qu’il va rencontrer. Il y a Mathilde, l’ancienne camarade du lycée Condorcet, que le narrateur va retrouver après trente années passées dans l’Amazonie en tant qu’anthropologue, et Pierre, un orphelin musicien à l’oreille absolue, adopté par le couple. Valérie Dashwood campe ce personnage féminin obsessionnel, dont les propres souvenirs familiaux, traces mémorielles, viennent lacérer la toile de l’existence comme celle d’une araignée qui la possède. Et c’est Alvise Siniva, pianiste-improvisateur et performeur, artiste multicarte au talent fou, qui incarne Pierre, le plus jeune compagnon aussi doué pour la musique et les choses de la nature qu’il parait ignorant du reste.
Un théâtre insolite et poétique

© Mariano Barrientos
Aux spectateurs qui exigeraient une intrigue claire, une compréhension immédiate des enjeux et des objectifs de chaque personnage, autant le dire tout de suite, ce spectacle échappe à toutes les catégories psychologique d’une intrigue classique. Tout d’abord parce la pièce est adaptée d’un roman de 400 pages, que la très belle langue d’Olivier Cadiot irrigue de mille pistes philosophiques, métaphysiques, mais aussi rudimentaires et anecdotiques sur la géographie et la sociologie du Sud-Ouest français. Mais aussi parce que chacun des personnages réinvente progressivement sa propre vie, tel un électron faussement libre. Mais quel bonheur de voir ces personnages incarnés pas de grands acteurs, à l’instar de Laurent Poitrenaux qui dessine un narrateur démiurge, totalitaire, mais pétri de culpabilité, qui passe son temps à donner des ordres et à râler sur tout le monde, avec une mauvaise foi ridicule ! L’acteur est capable en quelques instants de se transformer, avec son long corps élastique, en ange ou en démon, en jeune héros ou en vieillard.
Musique des notes et des mots

© Mariano Barrientos
Autour du narrateur, dans un espace ultra design, blanc, occupé par un piano à queue qui sera presque un personnage à part entière, Mathilde-Valérie Dashwood, habillée comme Closure et comme Pierre, d’un costume noir et d’une chemise blanche, promène sa longue silhouette telle une somnambule en quête de racines, d’un passé qu’elle se réinvente. Pierre-Alvise Sinia, musicien à l’oreille absolue, vaque à son piano, à ses magnétophones à bandes et à sa régie son, bidouillant ses compositions comme un petit génie, jeune Mozart saisi par la fantaisie d’inventer un monde débarrassé des concepts intellectuels. La musique, baroque, contemporaine, tonale ou pas, agit ainsi comme une respiration, qui fait écho aux vidéos d’un jardin empli d’arbres. Au final, on assiste au combat désespéré de trois humains qui pensaient s’inventer une nouvelle liberté mais qui constatent que la prison de leurs névroses et de leurs obsessions les aliène encore. Et c’est tant mieux, lance le double d’Olivier Cadiot à la fin. Laissons le bon Dieu où il est, et restons de joyeux humains.
Hélène Kuttner
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